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Le Passé retrouvé :
Sherill Milnes
Alors au sommet de sa carrière et de sa gloire même si jamais vraiment adulé de ce côté-ci de l'Atlantique, le grand baryton américain Sherill Milnes venait à l'Opéra national de Paris pour chanter le rôle-titre de Nabucco de Verdi dans la mise en scène d'Henri Ronse et les costumes de Béni Montrésor, sous la direction de Nello Santi.
(Entretien réalisé le 30/01/1975 pour le Quotidien de Paris)
Êtes-vous issu d'une famille et d'un milieu où l'on pratiquait la musique ?
Mon contexte est assez atypique. J'ai passé mon enfance dans une ferme où je trayais les vaches avant et après l'école. J'effectuais tous les travaux dans les champs. Ma mère dirigeait le choeur de l'église et enseignait le piano. Enfant, j'ai donc commencé à chanter dans le choeur et à apprendre le piano avec elle. Je ne pensais absolument pas au chant dans l'optique d'une carrière. Quand vous êtes accoutumé à quelque chose, vous vivez avec sans nécessairement l'envisager comme un métier.
J'ai donc commencé des études de médecine, très difficiles et qui ne me laissaient plus aucun temps pour faire de la musique. C'est alors que j'ai compris à quel point elle était importante pour moi. Du jour où je ne l'ai plus eue, elle m'a manqué. J'ai donc décidé de changer d'orientation et de travailler la musique, pour l'enseigner. J'ai passé mes diplômes. Après avoir écouté à la radio quelques retransmissions du Metroplitan Opera, on me disait parfois « est-ce que tu n'aimerais pas chanter là-bas ? », comme on pourrait le dire du Palais Garnier à un jeune Français étudiant en musique. Mais cela ne me venait vraiment pas à l'esprit.
Je vivais près de Chicago et après l'université, j'ai commencé à chanter partout où je le pouvais, dans les églises, dans les synagogues, avec le Choeur Symphonique de Chicago sous la direction de Fritz Reiner, qui venait d'être formé et où j'ai chanté pendant cinq ans toutes les grandes oeuvres chorales. Je travaillais toujours ma voix qui progressait sans cesse. En assistant à des concours de chant, j'ai commencé à me dire que j'étais peut-être meilleur que certains candidats. J'ai alors décidé d'auditionner pour certains spectacles.
Quel a été votre premier engagement important ?
Ce ne fut pas un premier rôle important mais un premier travail, avec la Gobovsky Grand Opera Company, qui effectuait des tournées. J'ai chanté Masetto dans Don Giovanni, environ soixante fois. Je ne le chante plus ! Pendant cinq ans, j'ai chanté ainsi une douzaine de rôles dans plus de trois cents spectacles. Je me suis rendu compte ensuite que cela me donnait une expérience d'une étendue exceptionnelle, bien plus grande qu'avec n'importe quelle maison d'opéra, aux États-Unis ou même en Europe.
J'ai auditionné également pour des compagnies installées dans des villes et j'ai fini par chanter un peu partout, en travaillant beaucoup. Ma voix se développait. À ma quatrième audition avec la New York City Opera Company, j'ai eu une proposition qui me semblait raisonnable. J'y ai donc débuté en 1964. L'année suivante, j'auditionnais pour le Met où je débutais dans Faust. Et tout s'est enchaîné ensuite.
Quels sont les rôles que vous n'avez pas encore chantés et que vous aimeriez aborder ?
Quand je chante pour la première fois dans un nouveau théâtre, comme ce Nabucco à Paris, j'ai le sentiment que c'est totalement nouveau, autant pour moi que pour le public. Outre ce Nabucco, j'aimerais faire Simon Boccanegra, Thaïs aussi, dans lequel je chanterai dans deux ans. Je n'ai fait pour l'instant que lire la partition au piano et écouter l'opéra. En fait, il y a beaucoup de rôles que je n'ai pas encore chantés. Mais il faut aussi bien assimiler ceux que vous pratiquez. Avant de pouvoir considérer que vous vous les êtes appropriés en profondeur, il faut les avoir interprétés de très nombreuses fois.
Comment travaillez-vous vos rôles ? Certains chanteurs ont besoin de la scène pour entrer dans un rôle. Pour d'autres, tout est prêt à l'avance. Comment procédez-vous ?
Je passe d'abord beaucoup de temps au piano, car un chanteur qui est en pleine carrière ne peut se permettre de travailler un nouveau rôle sans cesse en entier et à pleine voix. Je passe aussi beaucoup de temps à peaufiner la prononciation. Le public, même s'il ne comprend pas la langue, doit en percevoir la sonorité et la nature de manière exacte. Cela concerne la couleur de la voix. Mais je n'arrive jamais aux premières répétitions avec une interprétation complètement finalisée. Cela se fait avec le chef d'orchestre, avec le metteur en scène, avec les partenaires.
Même pour un rôle que je pratique beaucoup, comme Germont dans la Traviata, ma façon de l'aborder va dépendre de la manière dont l'interprète de Violetta aborde elle-même ce deuxième acte. Si elle est très forte, très décidée, Germont doit l'être autant quelle pour la convaincre. Si elle est d'emblée plus fragile, plus facile à ébranler, avec une voix plus douce, il sera un peu plus paternel, moins agressif.
Le son de la voix de vos collègues est très important. La voix de Tito Gobbi par exemple, qui est un immense artiste, sa manière de chanter, sont totalement différentes des miennes. Le public ne peut pas voir la même chose en entendant des voix aussi différentes. Ce qu'il voit doit correspondre à ce qu'il entend.
Dans quel univers êtes-vous le plus à l'aise ? Celui de Verdi ?
Incontestablement. Je suis un baryton Verdien, même si je suis un peu allé voir ailleurs aussi, chez Don Giovanni par exemple, que j'ai notamment chanté à Berlin, où on l'a bien aimé. C'est d'ailleurs un rôle très spécial, plus physique, sensuel et instinctif que vocal, avec une énergie très particulière. Il ne faut pas seulement posséder la voix qui convient, mais avoir une certaine présence physique et chanter les mots, le texte. Mais Verdi est mon terrain d'élection préféré.
Avez-vous chanté Escamillo ?
Oui, mais c'est un rôle étrange qui convient souvent mieux aux barytons Verdi qu'aux barytons français. C'est un peu un piège car, sur scène, sauf si la production est exceptionnelle et le met très en valeur, le public ne le trouve jamais aussi bien qu'il l'imaginait. Les autres rôles le tuent complètement. Et puis son air est tellement connu qu'il finit par ressembler à une parodie. Il est très difficile d'en faire quelque chose de nouveau. Le seul moment vraiment intéressant est son intervention du troisième acte. Là, on peut essayer de faire quelque chose. Dans le répertoire français, en revanche, ce que j'aimerais faire un jour, ce sont les quatre rôles graves des Contes d'Hoffmann. J'y tiens beaucoup.
Le 11/07/2007
Gérard MANNONI