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| Masaaki Susuki | |
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Invité Invité
| Sujet: Masaaki Susuki Lun 12 Jan - 5:16 | |
| Interview de Masaaki Susuki , claveciniste, organiste et chef d'orchestre japonais , qui réalise actuellement chez BIS une intégrale des cantates de Bach . (aussi , les passions , l'oratorio de Noel et de l'Ascension, la messe en Si , les suites anglaises et françaises, la clavierubung III ...)
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Masaaka Susuki, nous sommes habitués à voir de nombreux musiciens japonais de niveau international, mais en Europe nous n’avons encore guère vu de spécialistes japonais de la musique ancienne. Qu’en est-il de la musique ancienne au Japon aujourd’hui ?
Dans les années 1970 et 1980 beaucoup de Japonais sont venus étudier en Europe, en particulier aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne et en Suisse, à Bâle, et ils sont retournés au Japon ensuite. De ce fait, la fin des années 1980 a été favorable chez nous à la constitution de nouveaux ensembles, malgré les difficultés financières du début des années 90 qui a contraint beaucoup de gens à cesser leurs activités. Mon frère Hidemi Suzuki est un bon exemple. Il est maintenant rentré au Japon, mais il a enseigné un certain temps au Conservatoire de Bruxelles.
Vous avez des diplômes de l’Université de Tokyo en interprétation et en composition ; quelle est la part de la composition dans votre vie de musicien ?
A l’origine, je voulais étudier l’orgue, mais on m’a encouragé à étudier aussi la composition. Cela m’a permis de bien approfondir l’harmonie, la polyphonie et la construction, et cela m’a beaucoup aidé à comprendre la musique.
Après Tokyo vous êtes allé étudier avec Ton Koopman. Comment avez-vous vécu cette expérience ?
Ton était un musicien très actif à l’époque, et il parlait abondamment de ses idées sur l’interprétation. C’était très stimulant. Il n’aimait pas trop que des élèves imitent sa façon de jouer. J’ai beaucoup appris sur la musique, et sur la manière de vivre comme musicien ; à cette époque (1978-83) ses filles étaient toutes petites, il devait donc jongler entre la musique et le baby-sitting. Il vivait à proximité de la gare centrale d’Amsterdam, il y avait un marché dans sa rue le vendredi et le samedi, on avait l’impression de se promener dans un de ces tableaux de Rembrandt qui dépeignent la vie quotidienne hollandaise au XVIIe siècle.
Qu’avez-vous fait, après avoir étudié auprès de lui ?
Ensuite je suis allé étudier auprès de l’organiste Piet Kee encore deux années avant de rentrer au Japon. C’est aussi un très bon professeur, et, parmi d’autres choses, il m’a appris à utiliser les grandes orgues hollandaises. Ses idées musicales sont très différentes de celles de Ton Koopman, donc ça m’a fait du bien de pouvoir travailler avec les deux. Au bout de ces deux ans je me suis inscrit au concours d’orgue de Bruges, et j’ai été très ennuyé de découvrir que Ton Koopman faisait partie du jury, parce qu’à ce moment-là mon jeu était très influencé par Piet Kee. J’ai eu la bonne surprise de découvrir que Ton avait apprécié ma façon de jouer, et j’ai remporté un prix.
De retour au Japon, qu’est-ce qui vous a donné l’idée de créer le Bach Collegium Japan ?
Peu de temps après mon retour, j’ai eu la chance de commencer une série de concerts à la chapelle de Kobe, que nous utilisons encore pour de nombreux concerts et enregistrements. Elle a de telles qualités que je ne pouvais plus me passer d’y faire de la musique, et j’y ai fondé un petit ensemble choral. J’ai aussi créé un petit chœur à Tokyo. Pour le centenaire de Bach en 1985 nous avons organisé quelques concerts, et il m’a semblé tout naturel de faire travailler ensemble ces deux groupes. Avec des musiciens de différentes régions du pays se réunissant pour interpréter Bach, le nom de Bach Collegium Japan s’est imposé presque tout seul. Comme par hasard, les initiales “BCJ” donnent 14 selon la numérologie qu’utilisait Bach, et le nom de BACH donne le même nombre. Hier soir j’ai réalisé que les initiales de l’Academy of Ancient Music, “AAM”, donnent aussi 14, ce qui est une coïncidence surprenante.
Vous vous êtes lancé dans l’enregistrement de toutes les cantates de Bach pour BIS. Comment a commencé cette aventure ? Nous avons commencé à enregistrer en 1995, juste après le tremblement de terre à Kobe. Nous avions envisagé de nous adresser à une maison de disques japonaise, mais les cantates ne leur disaient rien. Quand je leur ai dit que faire le cycle entier prendrait vingt ans, ils ont été horrifiés. Nous avions eu des contacts avec la maison suédoise BIS, dont le fondateur Robert von Bahr nous a rendu visite à Tokyo. Nous avons parlé de notre rêve d’enregistrer toutes les cantates de Bach. Il est passionné de culture japonaise, ce qui a probablement joué en notre faveur, mais au début il était un peu sceptique. Nous nous sommes mis d’accord pour faire un test d’enregistrement sur trois ou quatre jours pour voir ce que ça donnait. Au cours de ces séances il s’est enthousiasmé. A un moment il s’est précipité hors de la salle de régie, m’a serré dans ses bras en disant “ça, c’est bon”. Il y a aussi eu des disputes ; il a une forte personnalité, mais j’ai aussi la mienne, et les membres de Collegium Japan ont aussi leur point de vue. En fait ces frictions ont été utiles, elles nous ont permis de nous connaître beaucoup mieux. Deux autres enregistrements ont suivi cette année-là. Ensuite il a cessé de produire lui-même nos enregistrements, et il nous a envoyé d’excellents collègues de chez lui. Robert dirige son entreprise avec beaucoup de talent et il nous a beaucoup encouragés. Le projet va de l’avant, et nous lui en sommes très reconnaissants.
Le Bach Collegium Japan vient-il souvent en Europe?
Nous avons fait huit tournées internationales. En 2003 nous sommes allés en Italie, en Espagne, en Israël, mais le coût des voyages nous impose des limites. Nous viendrons en Europe en été 2005 pour jouer à Ansbach en Allemagne et au festival du Schleswig-Holstein, et nous reviendrons encore en 2006.
D’après certaines personnes les cantates de Bach devraient être jouées avec un seul musicien par partie, mais d’autres ne sont pas d’accord. Qu’en pensez-vous ?
C’est une fameuse controverse. Pour la plupart des cantates de Weimar et pour certaines de cantates de Leipzig l’approche à “un par partie” se justifie, mais à Leipzig même, certains musicologues sont convaincus que ce n’est pas la bonne. D’après moi la qualité de l’interprétation dépend trop de la qualité des solistes lorsqu’on joue avec une voix par partie. Les cantates chorales sont un cas intéressant, avec un choral chanté au début et à la fin, et des récitatifs et des arias au milieu. Le mouvement d’ouverture et le final doivent rester relativement neutres, de façon à faire ressortir l’expression plus personnelle des récitatifs et des arias. Cela fonctionne bien s’il y a quelques ripiénistes qui peuvent s’ajouter à chaque partie de soliste dans les chorals. Je trouve très important d’avoir des concertistes qui chantent tout du long, avec un ou deux ripiénistes qui les rejoignent lorsque c’est nécessaire, plutôt que d’avoir des chanteurs qui ne chantent que les solos.
A notre époque les musiciens sont soumis à une grande pression parce qu’ils doivent chanter les cantates de Bach selon les standards internationaux les plus élevés. A Leipzig, du temps de Bach, les musiciens considéraient simplement ces œuvres comme un élément de l’office religieux. Quelle différence cela fait-il à vos yeux ?
Le contexte religieux est la façon la plus naturelle de comprendre les cantates, qui étaient toutes écrites pour faire partie de la liturgie et pour mettre en avant leur lien étroit avec les psaumes et les cantiques chantés par les fidèles. Ce n’est plus la même chose aujourd’hui, même dans les églises luthériennes, parce que l’office dure rarement plus d’une heure : or, les cantates durent entre vingt et vingt-cinq minutes. A l’époque de Bach le service religieux pouvait prendre jusqu’à quatre heures, la cantate était donc en proportion beaucoup plus courte, ce qui correspond mieux à son rôle. Le vocabulaire pose aussi un problème, il est trop ancien pour être facilement compris aujourd’hui. On apprécie plus facilement les cantates aujourd’hui dans une salle de concert, même s’il ne faut pas oublier le contexte pour lequel elles ont été écrites. Il y a une autre difficulté si on ne joue les cantates qu’occasionnellement dans le contexte religieux, parce que le culte doit être quelque chose de familier. Ça n’a plus de sens si on programme de temps en temps un “culte musical” ou un “culte avec Bach”.
Vous vous êtes lancé dans l’enregistrement de toutes les cantates de Bach pour BIS. Comment a commencé cette aventure ? Nous avons commencé à enregistrer en 1995, juste après le tremblement de terre à Kobe. Nous avions envisagé de nous adresser à une maison de disques japonaise, mais les cantates ne leur disaient rien. Quand je leur ai dit que faire le cycle entier prendrait vingt ans, ils ont été horrifiés. Nous avions eu des contacts avec la maison suédoise BIS, dont le fondateur Robert von Bahr nous a rendu visite à Tokyo. Nous avons parlé de notre rêve d’enregistrer toutes les cantates de Bach. Il est passionné de culture japonaise, ce qui a probablement joué en notre faveur, mais au début il était un peu sceptique. Nous nous sommes mis d’accord pour faire un test d’enregistrement sur trois ou quatre jours pour voir ce que ça donnait. Au cours de ces séances il s’est enthousiasmé. A un moment il s’est précipité hors de la salle de régie, m’a serré dans ses bras en disant “ça, c’est bon”. Il y a aussi eu des disputes ; il a une forte personnalité, mais j’ai aussi la mienne, et les membres de Collegium Japan ont aussi leur point de vue. En fait ces frictions ont été utiles, elles nous ont permis de nous connaître beaucoup mieux. Deux autres enregistrements ont suivi cette année-là. Ensuite il a cessé de produire lui-même nos enregistrements, et il nous a envoyé d’excellents collègues de chez lui. Robert dirige son entreprise avec beaucoup de talent et il nous a beaucoup encouragés. Le projet va de l’avant, et nous lui en sommes très reconnaissants. |
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| Sujet: suite... Lun 12 Jan - 5:17 | |
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Le Bach Collegium Japan vient-il souvent en Europe?
Nous avons fait huit tournées internationales. En 2003 nous sommes allés en Italie, en Espagne, en Israël, mais le coût des voyages nous impose des limites. Nous viendrons en Europe en été 2005 pour jouer à Ansbach en Allemagne et au festival du Schleswig-Holstein, et nous reviendrons encore en 2006.
D’après certaines personnes les cantates de Bach devraient être jouées avec un seul musicien par partie, mais d’autres ne sont pas d’accord. Qu’en pensez-vous ?
C’est une fameuse controverse. Pour la plupart des cantates de Weimar et pour certaines de cantates de Leipzig l’approche à “un par partie” se justifie, mais à Leipzig même, certains musicologues sont convaincus que ce n’est pas la bonne. D’après moi la qualité de l’interprétation dépend trop de la qualité des solistes lorsqu’on joue avec une voix par partie. Les cantates chorales sont un cas intéressant, avec un choral chanté au début et à la fin, et des récitatifs et des arias au milieu. Le mouvement d’ouverture et le final doivent rester relativement neutres, de façon à faire ressortir l’expression plus personnelle des récitatifs et des arias. Cela fonctionne bien s’il y a quelques ripiénistes qui peuvent s’ajouter à chaque partie de soliste dans les chorals. Je trouve très important d’avoir des concertistes qui chantent tout du long, avec un ou deux ripiénistes qui les rejoignent lorsque c’est nécessaire, plutôt que d’avoir des chanteurs qui ne chantent que les solos.
A notre époque les musiciens sont soumis à une grande pression parce qu’ils doivent chanter les cantates de Bach selon les standards internationaux les plus élevés. A Leipzig, du temps de Bach, les musiciens considéraient simplement ces œuvres comme un élément de l’office religieux. Quelle différence cela fait-il à vos yeux ?
Le contexte religieux est la façon la plus naturelle de comprendre les cantates, qui étaient toutes écrites pour faire partie de la liturgie et pour mettre en avant leur lien étroit avec les psaumes et les cantiques chantés par les fidèles. Ce n’est plus la même chose aujourd’hui, même dans les églises luthériennes, parce que l’office dure rarement plus d’une heure : or, les cantates durent entre vingt et vingt-cinq minutes. A l’époque de Bach le service religieux pouvait prendre jusqu’à quatre heures, la cantate était donc en proportion beaucoup plus courte, ce qui correspond mieux à son rôle. Le vocabulaire pose aussi un problème, il est trop ancien pour être facilement compris aujourd’hui. On apprécie plus facilement les cantates aujourd’hui dans une salle de concert, même s’il ne faut pas oublier le contexte pour lequel elles ont été écrites. Il y a une autre difficulté si on ne joue les cantates qu’occasionnellement dans le contexte religieux, parce que le culte doit être quelque chose de familier. Ça n’a plus de sens si on programme de temps en temps un “culte musical” ou un “culte avec Bach”.
En tant que chrétien, vous faites partie d’une petite minorité au Japon, et parmi cette minorité vous êtes peu nombreux à savoir ce que pouvait être la piété luthérienne au XVIIIe siècle. Quel effet cela fait-il de faire partie d’une minorité dans la minorité ? Au Japon le christianisme est minoritaire, mais son influence sur la culture est étonnamment grande. Tout le monde connaît Noël, et beaucoup de gens choisissent de se marier à l’église, même si la plupart des services funèbres sont célébrés dans les temples bouddhistes. Il y a un grand nombre de gens qui ont très envie de comprendre le christianisme, et même de croire dans le Dieu des chrétiens, mais qui hésitent à aller à l’église. C’est en partie parce que la vie de l’église, au Japon, peut donner le sentiment d’être un monde à part, difficile à pénétrer pour des raisons sociales. Les chrétiens ne représentent que 1% de la population, mais le nombre de ceux qui sont prêts à s’ouvrir au christianisme est beaucoup plus élevé. Nous chantons en général les cantates devant un public de 1000 personnes. Ils ont très envie de comprendre ce que dit le texte, et pas seulement de profiter de la musique, donc c’est important de persévérer dans cette activité culturelle, d’un point de vue de chrétien. C’est de la véritable évangélisation. Nous ne faisons aucun prosélytisme pendant les concerts, un concert est un concert ; mais la musique doit être appréciée comme faisant partie de la création de Dieu. Je suis d’autant plus membre d’une minorité dans une minorité que je suis membre de l’Église Réformée du Japon, qui se rattache à Calvin, et qui encourage les gens à être conscients de la valeur de ce monde. Il y a certains chrétiens au Japon qui appartiennent à l’Église Évangélique libre et qui sont très actifs, mais ils sont très conservateurs dans leur façon de comprendre la Bible. Certains d’entre eux semblent avoir très peu de relations avec le monde dans lequel nous vivons. C’est dangereux de mon point de vue. Pour la plupart, nos musiciens et chanteurs ne sont pas chrétiens, mais ils n’ont rien contre le christianisme, et ils souhaitent sincèrement comprendre les textes. J’aime travailler avec eux dans cet esprit, et ce sont de très bons musiciens. C’est vraiment important de faire de la très bonne musique ; si la qualité n’est pas là, la musique de Bach ne dit rien à personne.
Avez-vous l’impression que les gens au Japon ont plus envie de comprendre ce que Bach essaie de dire que les Occidentaux, qui considèrent sa musique comme un élément de leur culture ?
Oui. Nous devons tout le temps faire des traductions, ce qui donne aux mots une nouvelle fraîcheur. Pour les Allemands en particulier, des expressions comme “Louons le Seigneur” peuvent être devenues des clichés. Ce n’est pas le cas pour nous.
Vous sentez-vous proche de la spiritualité de Bach ?
On ne peut pas parler à sa place. Mais pour ce qui est de son activité professionnelle, il est clair que c’était un musicien appelé par Dieu, dont la mission était de faire de la musique, aussi bien à l’église que dans des contextes profanes. Il ne faisait peut-être pas de distinction entre diriger le Collegium Musicum à Leipzig et diriger les cantates pendant le culte. Mon sentiment est que son métier était de faire de la musique, et de communiquer, grâce aux cantates, le message de la Bible et le message contenu dans le texte des chorals. Quand il n’y a pas de texte, dans une pièce instrumentale, la musique s’apprécie au travers de l’interprétation. C’était aussi un homme très pratique, pas seulement spirituel, ce que j’essaie d’être moi-même. La spiritualité ne peut pas exister en dehors des réalités pratiques.
Il y a aussi une question à propos des mélodies dans les chorals. Bach pouvait faire des allusions mélodiques, sachant que ses auditeurs les identifieraient et les associeraient à certaines paroles. C’est beaucoup plus difficile avec un public moderne. Avez-vous trouvé un moyen de faire comprendre ces allusions ? C’est un problème difficile. Il y a un bon exemple dans la cantate BWV 12 Weinen Klagen Sorgen Zagen où la dernière aria, pour ténor, dit à un moment au croyant “Sei getreu” (sois fidèle), sans préciser à qui. En contre-chant, la trompette joue “Jesu meine Freude”, ce qui désigne clairement la personne à qui on vous exhorte à rester fidèle. Si les gens ne reconnaissent pas la mélodie, ça ne fonctionne pas du tout, donc il est très important que le public en soit averti à l’avance. Concrètement, cela veut dire faire des exposés, donner des interviews et beaucoup écrire, comme ça les gens réalisent que quand ils entendent une mélodie chorale sans paroles, c’est sans doute une allusion à quelque chose. Lorsqu’ils viennent me voir après le concert pour me demander quelle était l’allusion, c’est trop tard pour ce concert-là, mais mes explications les aideront au moins à se préparer au prochain.
Vous faites actuellement vos débuts au Royaume-Uni, où vous dirigez The Academy of Ancient Music dans un programme qui mêle des cantates et de la musique profane. Quelle importance a pour vous la musique profane dans votre travail ?
Il est très important de travailler à la fois sur les œuvres sacrées et sur les œuvres profanes, parce qu’elles ont tellement d’éléments en commun. On en a un bon exemple avec les rythmes de danse : quand dans une aria, on a du mal à trouver le bon tempo et le bon style, on a intérêt à vérifier si son rythme correspond à celui d’une danse, comme une polonaise par exemple. Cela peut paraître étrange de rester longtemps sur une levée, sauf si l’aria utilise le rythme de la gavotte dont la levée dure la moitié d’une mesure. C’est un point essentiel pour comprendre la musique de Bach. Dans ce programme nous jouons la Première Suite orchestrale et le Concerto pour clavecin en ré mineur. Le style des concertos est très important pour la compréhension des cantates, surtout quand on sait que Bach a réutilisé dans les cantates les musiques de certains concertos. Il y a peu de choses qui distingue sa musique sacrée de sa musique profane ; et je trouve mon bonheur dans l’une comme dans l’autre.
Qu’est-ce que ça vous fait de travailler avec les musiciens de l’AAM ?
C’est une expérience merveilleuse. L’atmosphère est bonne. Je n’aime pas travailler trop souvent comme chef invité, mais là beaucoup de gens m’avaient dit qu’ils étaient très accueillants, et c’est tout à fait vrai.
Aviez-vous déjà travaillé avec l’un ou l’autre d’entre eux auparavant ?
Non, je n’en connaissais aucun, même pas le violoniste japonais.
Vous enseignez maintenant à l’Université de Tokyo ; quelle est la place de l’enseignement dans votre activité de musicien ?
L’enseignement est une partie très importante de la vie de tout musicien, et j’essaie de m’y consacrer le plus possible. Pour ce qui est de la façon de jouer sur les instruments anciens nous avons maintenant des idées plus précises ; c’est une approche différente, et c’est important de transmettre ce qu’on a appris à la génération suivante. A Tokyo cela fait quatre ans que nous avons un département de musique ancienne ; il est très actif et compte actuellement quarante étudiants. Beaucoup d’entre eux aiment bien passer des instruments modernes aux instruments anciens et réciproquement. Auparavant on avait tendance à chercher un compromis entre les deux, mais beaucoup de ces étudiants font preuve d’une grande adaptabilité, ce qui fait qu’ils jouent très bien des deux. C’est une très bonne chose.
Quand vous regardez en arrière, quels sont pour vous les grands moments qui ont marqué votre travail avec le Bach Collegium Japan ? L’un de ces grands moments a été le premier CD pour BIS. Il ne contient que 48 minutes de musique parce que nous n’étions pas sûrs que le projet aboutirait ; nous avions inclus certaines pièces d’autres compositeurs dans le même concert, mais on ne pouvait pas les mettre dans un disque dédié uniquement à Bach. Ce n’est pas le meilleur enregistrement que nous ayons fait, mais il a beaucoup compté pour nous. Un autre grand moment a été notre tournée aux États-Unis avec la Passion selon saint Matthieu en 2003. C’était juste après que les Américains commencent à bombarder l’Irak. Nous nous sommes beaucoup demandé si nous devions vraiment y aller, ce qui s’est révélé une bonne occasion de réfléchir entre nous à ce qui nous poussait à jouer la musique de Bach, et en particulier la Passion selon saint Matthieu. Nous avons aussi eu une expérience intéressante en Israël, où nous avions été invités pour jouer la Passion selon saint Jean et le Messie dans le cadre de l’inauguration d’une nouvelle salle de concert près de Tel Aviv. Je me demandais bien comment un public israélien pouvait réagir à une musique chrétienne comme celle-là, et je n’étais pas très à l’aise. En fait leur réaction a été stupéfiante. Dans un journal du lendemain le compte-rendu du concert titrait : “Le Messie est arrivé”. A l’occasion de cette tournée j’ai eu une conversation passionnante avec un musicologue israélien, qui expliquait que la musique de Bach avait beaucoup de succès chez eux, mais que pour les gens “sérieux” elle pose aussi un problème parce qu’ils l’écoutent en tant que juifs. Au Japon c’est relativement rare de parler avec des gens d’une autre religion sur la façon dont ils réagissent à la musique de Bach, parce que la plupart des non-chrétiens n’ont pas de religion. C’est en partie le résultat d’un système éducatif qui dit qu’il ne doit pas y avoir de parti pris, en conséquence il est impossible d’avoir une éducation religieuse. Il en résulte que les gens ont tendance à éviter toute discussion sur la religion, donc ça m’a beaucoup intéressé de faire cette rencontre en Israël. Après la représentation de la Passion selon saint Jean quelqu’un s’est approché de moi et m’a dit, avec une grande conviction, que cette musique ne visait pas le peuple juif, mais l’humanité toute entière. Je suis sûr qu’il a raison.
Qu’avez-vous envie de faire par la suite ?
Avant tout, je souhaite continuer le cycle des enregistrements des cantates de Bach. Pour en comprendre toutes les subtilités il faut faire ça très lentement, donc on ne peut pas en faire plus de trois ou quatre par an. Nous explorons aussi d’autres répertoires, comme Monteverdi et Schütz. Comme organiste je joue aussi de la musique moderne et de la musique romantique, mais en tant qu’ensemble, le Bach Collegium Japan n’ira vraisemblablement pas au-delà de Mozart, ou au maximum de Mendelssohn. J’ai aussi très envie de continuer à jouer comme soliste au clavier. Beaucoup de grands interprètes du clavier qui sont devenus chefs d’orchestre arrêtent de jouer en public, mais j’espère beaucoup que cela ne m’arrivera pas, et c’est pourquoi je suis heureux de jouer un concerto pour clavecin dans les concerts que je donne actuellement avec l’Academy of Ancient Music.
MS |
| | | | Masaaki Susuki | |
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