Maurice Ravel (Ciboure, Pyrénées-Atlantiques, 1875 – Paris 1937)
Son œuvre, fruit d'une recherche obstinée de perfection et d'un héritage s'étendant de Jean-Philippe Rameau aux pionniers du jazz, dénote un style original qui, après avoir participé au début du siècle du mouvement impressionniste, s'orienta vers un néoclassicisme plus dépouillé. Son œuvre témoigne à la fois « des jeux les plus subtils de l’intelligence » et «des épanchements les plus secrets du cœur ».
L’œuvre assez restreinte (quatre-vingt-six œuvres originales, vingt-cinq œuvres orchestrées ou transcrites) aborde des genres différents et elle est reconnue pour sa qualité : ballet symphonique Daphnis et Chloé (1909-12), Boléro (1928), deux concertos pour piano et orchestre, orchestration des Tableaux d'une exposition de Moussorgski (1922).
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Tout enfant, j’étais sensible à la musique — à toute espèce de musique. Mon père, beaucoup plus instruit dans cet art que ne le sont la plupart des amateurs, sut développer mes goûts et de bonne heure stimuler mon zèle. » (Ravel, Esquisse autobiographique, 1928).
Au Conservatoire de Paris en 1889, Ravel fut l’élève de Charles de Bériot et se lia d’amitié avec le pianiste espagnol Ricardo Viñes qui devint l’interprète attitré de ses meilleures œuvres. Enthousiasmé par la musique de Chabrier et de Satie, admirateur de Mozart, Saint-Saëns, Debussy et du groupe des Cinq, influencé par la lecture de Baudelaire, Poe, Condillac, Villiers de L’Isle-Adam et surtout de Mallarmé, Ravel manifesta précocement un caractère affirmé et un esprit musical très indépendant. En 1897, il suit l’enseignement d’André Gedalge et de Gabriel Fauré à qui il voua une grande estime réciproque. L’audace de ses compositions et son admiration proclamée pour les « affranchis » Chabrier et Satie allaient lui valoir bien des inimitiés parmi le cercle des traditionalistes et l’empêchèrent de remporter le Prix de Rome (1900-1905).
« Ravel n’est pas seulement un élève qui donne des promesses; il est dès à présent un des jeunes maîtres les plus en vue de notre école [...] et je ne conçois pas que l'on s'obstine à garder une école de Rome, si c'est pour en fermer les portes aux rares artistes qui ont en eux quelque originalité, à un homme comme Ravel qui s'est désigné aux concerts de la Société nationale par des œuvres bien autrement importantes que toutes celles qu'on peut exiger à un examen. » (Romain Rolland, mai 1905)
Dès cette époque s'affirmèrent les traits ravéliens les plus caractéristiques : goût pour les sonorités hispaniques et orientales, pour l’exotisme et le fantastique, perfectionnisme, raffinement mélodique, virtuosité du piano : Quatuor à cordes en fa majeur (1902), mélodies de Shéhérazade sur des poèmes de Tristan Klingsor (1904), Miroirs et la Sonatine pour piano (1905), Introduction et allegro pour harpe (1906), Histoires naturelles d'après Jules Renard (1906), Rapsodie espagnole (1908), suite pour piano Ma Mère l'Oye (1908) et Gaspard de la nuit (1908), inspiré du poème éponyme d’Aloysius Bertrand.
En 1910 il fonda avec Charles Koechlin et Florent Schmitt notamment la Société Musicale Indépendante (S.M.I.) destinée à promouvoir la musique contemporaine, par opposition à la Société nationale de musique, plus conservatrice, alors présidée par Vincent d’Indy et liée à la Schola Cantorum. Pour répondre à une commande de Serge de Diaghilev dont les Ballets russes triomphaient à Paris, Ravel composa à partir de 1909 le ballet Daphnis et Chloé. Cette symphonie chorégraphique, qui utilise des chœurs sans paroles, est une vision de la Grèce antique que Ravel voulait proche de celle que les peintres français du XVIIIe siècle avaient donnée. L’argument de l’œuvre fut co-rédigé par Michel Fokine et Ravel lui-même. Il s’agit de l’œuvre la plus longue du compositeur (soixante-dix minutes environ), et celle dont la composition fut la plus laborieuse. Ravel refusa pendant la guerre de prendre part à la Ligue nationale pour la défense de la musique française qui faisait de la musique un outil de propagande et interdisait entre autres la diffusion en France des œuvres allemandes et austro-hongroises.
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Je ne crois pas que « pour la sauvegarde de notre patrimoine artistique national » il faille « interdire d'exécuter publiquement en France des œuvres allemandes et autrichiennes contemporaines non tombées dans le domaine public ». (...) Il serait même dangereux pour les compositeurs français d'ignorer systématiquement les productions de leurs confrères étrangers et de former ainsi une sorte de coterie nationale : notre art musical, si riche à l'heure actuelle, ne tarderait pas à dégénérer, à s'enfermer en des formules poncives. Il m'importe peu que M. Schönberg, par exemple, soit de nationalité autrichienne. » (Ravel, 7 juin 1916)
Pendant la « Belle Époque », la production du musicien se ralentit considérablement (une œuvre par an en moyenne, en excluant les orchestrations) et son style évolua selon ses propres mots dans le sens d’un « dépouillement poussé à l'extrême ». Son art allait s’ouvrir dans le même temps aux innovations rythmiques et techniques venues de l’étranger, en particulier d’Amérique du Nord.
En 1921, Ravel acheta une maison à Montfort-l’Amaury où il composa la majeure partie de ses dernières œuvres. Solitaire et pudique, Ravel eut cependant une riche vie sociale. Le Belvédère de Montfort-l'Amaury devint rapidement un cénacle ravélien : l’écrivain Léon-Paul Fargue, les compositeurs Maurice Delage, Arthur Honegger, Jacques Ibert, Florent Schmitt, Germaine Tailleferre, les interprètes Marguerite Long, Robert Casadesus, Jacques Février, Madeleine Grey, Hélène Jourdan-Morhange, Vlado Perlemuter, le sculpteur Léon Leyritz, et les deux fidèles élèves de Ravel, Roland-Manuel et Manuel Rosenthal. Ravel observa sa vie durant une extrême discrétion concernant sa vie privée et véhicula au travers de ses portraits et photographies une image de dandy masqué derrière un « cérémonial d'élégance fastidieuse » (André Tubeuf) qui contraste avec les témoignages de ceux qui le fréquentèrent.
En 1928, il donna des concerts aux États-Unis et au Canada qui lui valut, dans chaque ville visitée, un immense succès. À New York il fréquenta les clubs de jazz de Harlem et fut impressionné par les improvisations de George Gershwin. De retour en France, Ravel composa le « ballet de caractère espagnol » que lui avait commandé son amie Ida Rubinstein. Le Boléro fut créé à Paris le 22 novembre 1928 devant un parterre quelque peu stupéfié. Cette œuvre singulière, qui tient le pari de durer plus d’un quart d’heure avec seulement deux thèmes et une ritournelle inlassablement répétés, était considérée par son auteur comme une expérience d’orchestration « dans une direction très spéciale et limitée », et Ravel lui-même fut vite exaspéré par le succès de cette partition qu’il disait « vide de musique ».
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Je n’ai jamais éprouvé le besoin de formuler, soit pour autrui soit pour moi-même, les principes de mon esthétique. Si j’étais tenu de le faire, je demanderais la permission de reprendre à mon compte les simples déclarations que Mozart a faites à ce sujet. Il se bornait à dire que la musique peut tout entreprendre, tout oser et tout peindre, pourvu qu’elle charme et reste enfin et toujours la musique. » (Ravel, Esquisse autobiographique, 1928)
Catalogue des œuvres et biographie complète