Klaus Tennstedt voit le jour en 1926 dans la petite ville allemande de Merseburg. Il étudie le violon et le piano à Leipzig avant de devenir, en 1948, le premier violon de l’orchestre du Théâtre municipal de Halle, ville natale de Haendel. En parallèle à ses activités de Konzertmeister, il supervise les répétitions des chanteurs de l’opéra local. En 1953, il fait ses débuts de chef d’orchestre, in loco, dans un opéra du très obscur Wagner-Régeny : Der Günstling. Les engagements se multiplient, et dès 1958, il est nommé directeur de l’Opéra de Dresde. Il est alors invité par les meilleurs orchestres de la RDA : Philharmonie et Staatskapelle de Dresde, Gewandhaus de Leipzig, Orchestre de la Radio de Berlin. Pendant la décennie, il conduit fréquemment ces phalanges lors de triomphales tournées dans les pays frères de l’Europe centrale.
Mais en 1971, à l’occasion d’un engagement en Suède, le chef d’orchestre décide de changer d’horizon politique. Il s’installe dans ce pays et est invité à diriger l’opéra de Göteborg et l’Orchestre Radio-symphonique de Suède. En 1972, le musicien décroche la direction musicale de l’Opéra de Kiel, imposante et industrieuse cité de l’Allemagne du Nord, avant de présider aux destinées de l’orchestre de la NDR de Hambourg entre 1979 et 1982. Les années 1970 sont celles de ses débuts fulgurants aux USA. Dès 1974, l’artiste conduit, avec un triomphe phénoménal, les orchestres de Toronto et de Boston. Quasiment chaque année, la capitale du Massachusetts lui fera une véritable fête à chacune de ses apparitions dans des symphonies de Beethoven, Bruckner et Mahler. En 1983, il débute au Metropolitan Opera de New-York avec Fidelio de Beethoven.
Après le continent américain, c’est en Grande Bretagne qu’il connut ses plus belles années. En 1976, il dirige le London Symphony Orchestra. L’année suivante, il conduit le London Philharmonic (LPO) qui le désigne en 1980 au poste de premier chef invité avant de lui confier en 1983 sa direction musicale. La firme EMI lui fait alors enregistrer une fameuse intégrale des symphonies de Mahler dont la Symphonie n°8 glane un Gramophone Award en 1987.
Au cours des années 1980, Tennstedt rencontre des ennuis de santé de plus en plus importants. En 1985, on lui diagnostique un cancer. À peine remis de cette maladie, le chef d’orchestre connaît encore d’autres graves soucis qui le conduisent à renoncer en octobre 1987 à la direction du London Philharmonic. Réduisant progressivement ses apparitions, le chef d’orchestre assure ses derniers concerts en 1993. Il décède en 1998.
Le répertoire de Klaus Tennstedt était essentiellement centré sur la trilogie Beethoven, Bruckner et Mahler. Pourtant l’homme appréciait la musique française de Debussy et Ravel, qu’il dirigea à de nombreuses reprises.
Son legs discographique officiel tourne autour de cette fameuse intégrale des symphonies de Mahler. Hautement réputée aux débuts de l’ère des enregistrements numériques, cette somme fut peu à peu snobée par les commentateurs avant de revenir, depuis quelques années et au fil des rééditions, une référence incontournable de toute discographique malhérienne. Secondé par un LPO attentif mais parfois besogneux, le chef d’orchestre campe un Mahler puissant, bourru et rugueux, à mille lieux des interprétations lyophilisées et esthétisantes actuelles. À l’exception des Symphonies n°1 et n°4, plutôt décevantes, il faut thésauriser ce corpus qui culmine dans une Symphonie n°7 d’une force herculéenne. En marge de ces symphonies, les enregistrements studios EMI avec le London Philharmonic font plutôt grise mine. On peut tout de même jeter une oreille sur un bel album Richard Strauss avec en prime de très beaux Quatre derniers lieder avec Lucia Popp, sur un Requiem allemand, très lent mais assez fascinant (avec Jessy Norman en soliste) et sur une fort massive Symphonie n°1 de Brahms. On oubliera par contre facilement une médiocre Symphonie n°8 d’Anton Bruckner. Invité à diriger l’Orchestre Philharmonique de Berlin, le maestro ne laissera pas un souvenir discographique exceptionnel. Si l’on peut écouter avec bienveillance la Symphonie « Romantique » d’Anton Bruckner, on peut faire l’économie de la Symphonie du Nouveau monde, d’un album Schumann et surtout d’extraits d’opéras de Wagner.
Depuis quelques années, la multiplication d’éditions consacrées aux enregistrements des radios publiques nous apporte un éclairage complémentaire et fascinant sur les interprètes peu gâtés par le disque. Dans ce cadre Klaus Tennstedt apparaît comme privilégié, car la radio bavaroise et la BBC nous offrent le meilleur de son art. Alors que ses interprétations de studio laissent apparaître un style plutôt massif, l’auditeur reste sidéré par une Symphonie n°3 d’Anton Bruckner, taillée au scalpel et emporté par une flamme irrésistible (lire ici la chronique de cet enregistrement), on peut en dire autant de deux disques londoniens qui proposent des visions hallucinées des Symphonies n°7 et n°9 de Beethoven ainsi que de la Symphonie n°3 de Brahms. Ces interprétations associent une maîtrise totale des formes avec un élan et une progression incroyables. L’auditeur pourra continuer son exploration avec un album « classique » dédié aux Symphonies n°1 et n°5 de Beethoven, excellentes interprétations auxquelles il manque un tout petit peu de folie. On restera admiratif devant un disque Smetana-Dvorak-Janecek tiré de concerts avec le LPO. Le chef d’orchestre rend à merveille le climat de la Symphonie n°8 de Dvorak dont il tend le propos en évitant savamment les climats trop pastoraux et la « brahmsisation » à outrance (travers de nombreux chefs de l’école allemande, Karajan en premier !). En dépit de leurs qualités, d’autres témoignages ne peuvent s’imposer dans un contexte discographique pléthorique : des Saisons de Haydn (LPO Live), un album de Symphonies de Prokofiev (Profil Medien), une Symphonie n°4 de Mahler gravée à Baden-Baden (Profil Medien) et un étrange couplage Mozart-Sibelius (Profil Medien). D’autres témoignages sont disponibles chez des éditeurs pirates japonais, mais leur diffusion fortement aléatoire les rend quasiment introuvables.
Vénéré en Grande-Bretagne, Klaus Tennstedt reste trop peu connu en dehors des îles britanniques. Espérons que les célébrations de ses quatre-vingt ans soient l’occasion de redécouvrir son art particulier mais unique.
source: resmusica