Fin musicien et grand chef d'orchestre, Ernest Ansermet a convaincu des générations de mélomanes par son art inimitable de la direction. Curieux et ouvert d'esprit, il s'attache également à découvrir les compositeurs contemporains et contribue ainsi à faire évoluer la musique sur les voies de la modernité. Sa vie est étroitement liée au rayonnement de Genève, qui lui décerne en 1953 la bourgeoisie d'honneur et lui dédie le quai qui longe l'Arve, entre le pont des Acacias et le pont de Saint-Georges.
Né le 11 novembre 1883 à Vevey, Ernest Ansermet est plongé dans la musique dès sa plus tendre enfance. Jouant de la clarinette dans des bals avec ses oncles, puis s'initiant aux instruments à cuivre à la Fanfare des cadets de Vevey, il ajoute à ses cordes le piano et le violon. Passionné, Ansermet passe d'un instrument à l'autre, de la musique populaire aux grands classiques. Doutant de sa capacité à vivre de la musique, il obtient en 1903 sa licence ès sciences et mathématiques à l'Université de Lausanne, mais sa passion pour la musique le rattrape vite.
A Paris en 1903, il fréquente le Conservatoire et se lie avec de jeunes musiciens, Maurice Ravel, Florent Schmitt et Manuel de Falla. C'est d'ailleurs à Paris, lors d'un deuxième séjour en 1910, que Ansermet rencontre le compositeur Claude Debussy qui apporte à notre jeune homme la confirmation de ses aspirations musicales : pour son premier concert, le 15 mars 1910 à la Maison du Peuple de Lausanne, Ansermet choisit entre autres Debussy, Prélude à l'Après-midi d'un Faune.
Quant à ses aspirations de chef d'orchestre, elles conduisent Ansermet à succéder à son maître et ami, Francisco de Lacerda, chef d'orchestre et pianiste portugais, à la direction du Kursaal de Montreux entre 1912 et 1914. Sa fonction de chef régulier lui permet, pendant deux ans, de perfectionner sa technique de direction et de se familiariser avec les grands virtuoses contemporains. A cette époque également, Ansermet se lie avec un illustre compositeur venu s'installer à Clarens, Igor Strawinsky. Leurs premières années d'amitié sont marquées par d'intenses recherches musicales. La Première Guerre mondiale éclate, l'Orchestre de Montreux est dissous.
En 1905, il se voit non seulement appelé à la tête de la "Société des Concerts d'abonnement" de Genève, mais encore il est engagé par Serge de Diaghilev, metteur en scène et impresario qui a créé les Ballets russes en 1909, dans l'idée de se distancer du ballet classique et d'en faire un art plus vivant. Entre 1915 à 1918, les Etats-Unis, Madrid, Rome, Paris, puis l'Amérique du Sud et Londres applaudissent Ernest Ansermet dirigeant de Nicolas Rimsky-Korsakov Schéhérazade et Les Danses du prince Igor; de Frédéric Chopin les Sylphides; de Robert Schumann le Carnaval; de Eric Satie Parade; de Manuel de Falla Le Tricorne; de Igor Strawinsky Le Chant du Rossignol, Pulcinella, L'Oiseau de feu, Les Noces et Renard; de Serge Prokofiev, Chout.
Une brève escale à Lausanne en 1918 le conduit à créer avec Igor Strawinsky et l'écrivain Charles-Ferdinand Ramuz L'Histoire du Soldat. C'est également l'année de la fondation de l'Orchestre de la Suisse romande (OSR). Ainsi Ansermet dirige-t-il au rythme des saisons: jusqu'en 1923, l'hiver est consacré aux Concerts d'abonnement à Genève et l'été aux Ballets Russes et dès 1923 à l'Orchestre national d'Argentine.
Dans ses programmations, Ansermet s'attache à équilibrer les classiques et la musique contemporaine. De Debussy, Ravel, Strawinsky et Honnegger, il passe à Arnold Schönberg et à Paul Hindemith. Ansermet favorise également la musique suisse contemporaine comme celle de Ernest Bloch et Frank Martin.
En 5 ans, de 1923 à 1928, la réputation d'Ansermet grandit, le public genevois se montre plus confiant et plus ouvert. La première suisse du Sacre du printemps de Strawinsky convaincra définitivement les mélomanes romands. Tous ces succès sont cependant minés dès 1929 par des problèmes financiers et politiques et, en mars 1935, Ansermet croit diriger le dernier concert de l'OSR. Cependant, les difficultés ne ternissent pas sa conviction qu'une formation symphonique, qui assurerait les concerts symphoniques et subviendrait aux besoins des radios et aux institutions comme le Grand-Théâtre de Genève, a toute sa place en Suisse romande. Le succès éclate finalement en été 1938 : la Fondation de la Maison de la Radio appuie énergiquement une Fondation de droit privé, constituée notamment par le prestigieux Comité des Amis de l'Orchestre de la Suisse romande, pour soutenir l'OSR. Le premier concert "nouvelle formule" a lieu à Genève au Grand-Théâtre, le 12 octobre 1938.
A la faveur d'un travail acharné, Ansermet et l'OSR acquièrent dès 1949 un statut véritablement international. Honneurs, succès, invitations à l'étranger, collaboration avec une grande firme de disques, Decca. L'écriture attire également le musicien qui fonde dans sa jeunesse avec Ramuz une revue littéraire, les Cahiers vaudois. Au long de sa vie, il collabore à diverses revues musicales. Il réfléchit également au statut de la musique et s'intéresse à la philosophie. S'inscrivant dans la lignée philosophique de Husserl, Ansermet achève en juin 1961 son livre, Les Fondements de la musique dans la conscience humaine, sorte de phénoménologie appliquée à la musique, prouvée par les mathématiques.
Ernest Ansermet restera à la tête de l'OSR pendant cinquante ans et c'est finalement à l'âge de 84 ans qu'il cède la baguette à Paul Klecki. Le jubilé de l'OSR est célébré le 29 novembre 1968 au Grand-Théâtre avec notamment au programme une œuvre du compositeur genevois Michel Wiblé, Ouverture de Fête, qui débute par deux accords sur les notes mi et la, en allemand E et A, hommage à l'illustre chef.
Son ultime concert, le 18 décembre 1968 au Victoria Hall, résume toutes les aspirations d'Ansermet: son attachement aux classiques avec la Suite N°4 en ré majeur de Bach et son désir d'explorer de nouvelles voies musicales avec Cantata profana de Bartok, Six épigraphes antiques de Debussy et Une cantate de Noël de Honegger. Cependant, au début de l'année suivante, en février 1969, Ansermet souffre d'une angine de poitrine et renonce à diriger Pelléas au Grand- Théâtre. Le 18 février, il s'endort pour l'éternité. Sa dépouille repose au cimetière de Plainpalais.